BIOÉTHIQUE - Progrès biomédical et législation

BIOÉTHIQUE - Progrès biomédical et législation
BIOÉTHIQUE - Progrès biomédical et législation

Bioéthique: progrès biomédical et législation

Les formidables progrès de la biologie et de la médecine au cours des quarante dernières années placent l’homme devant des situations totalement inédites et le conduisent à s’interroger sur le sens de sa vie, de sa mort, de sa souffrance, sur la réalité de son destin et le pourquoi des différences individuelles.

L’apparition des techniques de procréation médicalement assistée, du diagnostic prénatal, de la médecine prédictive et, d’une façon plus générale, des techniques de la génétique, tout comme le développement des transplantations d’organes et de l’expérimentation humaine, la tentation de l’euthanasie ou l’intrusion de l’informatique menaçant la confidentialité ont suscité un questionnement éthique d’autant plus crucial qu’il s’impose au moment où notre monde semble avoir perdu tous les repères traditionnels qui fondent la cohésion sociale. Par leur nature même, ces avancées de la science conduisent donc à engager une réflexion qui concerne les médecins, les chercheurs, mais aussi les philosophes, les juristes et l’ensemble des citoyens. L’utilisation des techniques médicales doit, en effet, être fondée en raison et renvoie par là même à des interrogations radicales.

Quels sont les éléments qui définissent l’identité humaine? Sont-ils inviolables et intangibles? Comment concilier la nécessité d’une recherche scientifique et médicale de qualité avec la protection des personnes qui se prêtent aux expérimentations? Comment préserver l’intimité du secret médical face aux exigences de la santé publique? Comment la décision des parents en matière de procréation médicalement assistée, ou à l’issue d’un diagnostic prénatal, doit-elle être éclairée ou guidée? Le médecin peut-il s’ériger en juge d’une “normalité”? Les techniques de conservation cellulaire ouvrent, en matière de fécondation, la possibilité d’interrompre le cours du temps: le recours à ces procédés doit-il être encadré? D’une manière plus générale, quelle doit être la part respective des choix individuels et des choix collectifs? Face à l’insuffisance de la seule morale, à l’impossible légitimité des logiques religieuses, à la stagnation du droit, le législateur est-il fondé à intervenir? Telles sont quelques-unes des interrogations qui figurent en toile de fond du débat sur l’éthique biomédicale et qui mettent le politique face à ses responsabilités.

Le modèle français

La France avait très tôt tenté d’apporter des réponses spécifiques aux problèmes de la transplantation d’organes avec l’adoption de la loi Caillavet, en 1976, puis de la loi Huriet-Sérusclat, en 1988, sur la protection des personnes se prêtant à l’expérimentation biomédicale. Avec le temps, des dérives se sont produites et de nouvelles situations sont apparues, de telle sorte que ces lois devaient être rediscutées, complétées et modifiées sur certains points.

C’est l’apparition de la fécondation in vitro en 1982 qui, dans notre pays, a souligné la nécessité d’une réflexion éthique approfondie dans tous les domaines amenant à s’interroger sur les comportements les plus appropriés, selon l’idée que l’on se fait de l’homme. Certains pays ont d’emblée choisi d’entamer un processus législatif afin de répondre ponctuellement aux problèmes spécifiques posés par une technique donnée. C’est ainsi que la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou l’Espagne, par exemple, se sont rapidement dotées de dispositions législatives tendant à organiser les pratiques de la procréation médicalement assistée ou du diagnostic prénatal. À cet égard, la France a semblé accuser du retard par rapport à ses voisins et faire montre d’une certaine hésitation sur l’attitude à adopter et sur les mesures à prendre. Il est vrai que, sur de tels sujets de société, touchant au domaine des convictions intimes de chacun, l’opinion est toujours divisée et qu’il est difficile d’adopter des mesures qui ne soient pas admises et comprises par la très grande majorité.

En fait, la France a choisi de se donner le temps d’ouvrir et de conduire une réflexion de fond sur ces problèmes et leurs conséquences en ce qui concerne la société et l’individu, afin de définir des principes généraux destinés à tracer les bases d’une conduite éthique conforme à la tradition française des droits de l’homme. C’est dans ce but qu’a été créé en 1983, à l’initiative du président de la République, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, qui réunit des biologistes, des chercheurs, des médecins, mais aussi des juristes et des représentants des différentes professions médicales ainsi que des principaux courants de pensée.

En 1988, le rapport du Conseil d’État intitulé De l’éthique au droit a bien mis en évidence l’état du droit positif dans les domaines des essais sur l’homme, de l’utilisation des éléments du corps humain, de la procréation médicalement assistée, du diagnostic prénatal, de l’embryon humain, des registres épidémiologiques et des comités d’éthique. Soulignant les brèches de notre droit, silencieux sur certains points, incertain sur d’autres, il faisait pour la première fois l’inventaire des problèmes posés et des propositions quant à une éventuelle démarche législative. Mais le passage de l’éthique au droit n’était pas sans soulever de nombreuses réticences, et ce premier rapport, qui n’a pas été concrétisé par des mesures législatives, a surtout eu le mérite de relancer la réflexion, au-delà du seul Comité d’éthique, dans les instances professionnelles et dans les milieux associatifs concernés, puis, peu à peu, dans l’opinion publique.

En 1991, trois nouveaux rapports sont venus faire le point et préparer les bases d’une législation à la française. Il s’agit du rapport de la Mission d’information sur les problèmes de bioéthique à l’Assemblée nationale, du rapport établi dans le cadre de l’Office parlementaire des choix et évaluations scientifiques et technologiques et du rapport confié par le Premier ministre à Noëlle Lenoir. Ces rapports ont conduit à la présentation devant l’Assemblée nationale de trois textes de loi destinés à répondre aux questions les plus pressantes, notamment dans le domaine de la procréation médicalement assistée et des transplantations d’organes. Étudiés et amendés lors des travaux d’une commission spéciale, ces textes ont été adoptés à une large majorité par l’Assemblée nationale en novembre 1992. Cette première lecture laissait cependant persister des points difficiles et ne répondait pas à toutes les questions posées.

Un nouveau rapport réalisé en 1993 (J.-F. Mattei) faisait donc le point, au regard de l’opinion, sur les réactions des principaux acteurs concernés et des différentes institutions, philosophies et religions, complétant ainsi le débat public ouvert dans le pays. Il conduisait à préciser les dispositions précédentes, à les modifier parfois et, surtout, à souligner l’urgence qu’il y avait à légiférer. De dangereuses dérives se produisaient dès lors que la jurisprudence était longue à se dessiner, tant il est vrai que le droit va moins vite que la science. Enfin, des législations dans des pays voisins ainsi que des textes internationaux et communautaires risquaient de laisser la France isolée et silencieuse, offerte à des dispositions venues d’ailleurs qui ne lui conviendraient pas nécessairement.

Sur ces nouvelles bases, le débat a donc repris devant le Sénat et ce sont finalement trois textes sensiblement remaniés qui ont été définitivement adoptés par le Parlement en juin 1994. Un texte présenté par le garde des Sceaux s’intéresse au respect du corps humain, un autre présenté par le ministre de la Santé traite des éléments et produits du corps humain, de l’assistance médicale à la procréation et du diagnostic prénatal, le troisième, émanant du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, concerne le traitement automatisé des données nominatives dans le domaine de la santé et complète la loi de 1978, dite loi Informatique et Libertés. À ces différents textes est venue s’ajouter la révision de la loi de 1988 sur la protection des personnes se prêtant à l’expérimentation biomédicale.

Le texte présenté par le garde des Sceaux comporte trois parties. Le titre premier, relatif au respect du corps humain, est essentiel. C’est là que sont énoncés les grands principes qui serviront désormais de référence: “La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie” (art. 16). “Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial” (art. 16-1). “Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne” (art. 16-3). “Nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine. Toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite. Aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne” (art. 16-4).

Le titre deux est relatif à l’étude génétique des caractéristiques d’une personne et à l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques. Il prévoit que l’étude génétique des caractéristiques d’une personne ne peut être entreprise qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique et avec le consentement de la personne, ce qui exclut toute autre utilisation, avant embauche ou assurance par exemple. Pour l’identification par empreintes génétiques, les dispositions prévoient des conditions différentes en matière pénale, civile ou médicale et scientifique. Dans tous les cas, les procédures sont très encadrées et toutes mesures sont prises pour le respect des personnes et la confidentialité des données. Dans ce titre, il est également affirmé que le corps humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d’un gène humain ne peuvent, en tant que tels, faire l’objet de brevets (art. L. 611-17 du Code de la propriété intellectuelle).

Le titre trois, relatif à la filiation en cas de procréation médicalement assistée, précise les conditions dans lesquelles un homme et une femme qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur doivent donner leur consentement devant un juge ou un notaire qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation (art. 311-20).

Le texte présenté par le ministre de la Santé est relatif au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. Il rappelle les principes généraux que sont l’anonymat et la gratuité du don ainsi que les règles sanitaires garantissant la fiabilité des produits utilisés. Concernant la transplantation d’organes, le principe du consentement présumé, déjà retenu dans la loi de 1976, est réaffirmé; il est cependant assorti de la création d’un Registre national des refus et du recueil du témoignage de la famille sur la volonté du défunt. Des dispositions spécifiques sont également prises pour les prélèvements à finalité scientifique et les autopsies. Les greffes de tissus et la thérapie cellulaire sont également organisées.

Le chapitre concernant l’assistance médicale à la procréation rappelle que cette technique est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple. “Elle a pour objet de remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué. Elle peut aussi avoir pour objet d’éviter la transmission à l’enfant d’une maladie d’une particulière gravité. L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentants préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination” (art. L. 152-2).

Les embryons surnuméraires conservés doivent permettre au couple de poursuivre son projet parental, et ce dans un délai de cinq ans. À titre exceptionnel, le couple peut consentir à ce que les embryons conservés soient accueillis par un autre couple dans des conditions très strictes, comparables à celles qui sont en vigueur pour l’adoption. Enfin, la conception d’embryons à des fins de recherche est formellement interdite, tout comme l’expérimentation sur l’embryon. Toutefois, à titre exceptionnel, l’homme et la femme formant le couple peuvent accepter que soient menées des études sur leurs embryons; celles-ci devront avoir une finalité médicale et ne pas porter atteinte à l’embryon. Elles feront l’objet d’un accord préalable d’une Commission nationale compétente et d’un contrôle strict avec évaluation.

Enfin, le diagnostic prénatal est également organisé dans des centres pluridisciplinaires ayant reçu un agrément. Leur activité fait l’objet d’un contrôle et d’une évaluation régulière. C’est également dans ce texte qu’est précisé le rôle du Comité consultatif national d’éthique. Celui-ci a pour mission de donner des avis sur les problèmes éthiques soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé et de publier des recommandations sur ces sujets. Par nature incomplet et imparfait, eu égard à la difficulté des sujets abordés mais devenu nécessaire afin de mettre un terme à de dangereuses dérives, le texte émanant du ministère de la Santé sera rediscuté, pour tous les aspects techniques et scientifiques, dans un délai maximal de cinq ans.

Le texte présenté par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est relatif au traitement de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé. Il amende la loi Informatique et Libertés pour protéger le secret et la confidentialité de ce type de données.

Le Conseil constitutionnel a été saisi en juillet 1994 sur les deux textes du ministère de la Justice et du ministère de la Santé. Il a considéré que ces lois énoncent un ensemble de principes au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine. Les principes ainsi affirmés tendant à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, le Conseil a déclaré l’ensemble des dispositions adoptées conforme à la Constitution.

La France apparaît donc comme le premier pays s’étant doté d’une législation globale en matière d’éthique biomédicale.

Le rôle du Conseil de l’Europe

Appelé depuis sa création à développer la coopération politique entre ses membres et à promouvoir la défense des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe s’est aussi préoccupé de prendre en compte les grands problèmes de société qui se posent à l’échelle du continent. Dès la fin des années 1970, l’organisation s’est inquiétée des conséquences du progrès médical et scientifique sur l’individu et la société, répondant ainsi à une demande exprimée, avec une acuité diverse, par la population de ses États membres.

En 1991, le Conseil de l’Europe a été chargé par son Assemblée parlementaire, qui regroupait deux cent trente-quatre députés (281 en 1996) issus des Parlements nationaux des États membres, de préparer une Convention européenne de bioéthique qui constituera le premier texte international contraignant sur la bioéthique publié au monde. Cette Convention, qui vise à rechercher un équilibre harmonieux entre l’individu, la science et la société, devrait être ouverte à la signature des trente-neuf (1996) États membres du Conseil de l’Europe au cours du quatrième trimestre de 1996. Nourrie par la tradition acquise par l’organisation dans le domaine des droits de l’homme, cette Convention, qui rappelle avant tout la “primauté de l’individu sur la recherche”, est aussi le fruit d’une réflexion bioéthique entamée depuis plus de quinze ans par le Conseil de l’Europe, à partir de l’expérience acquise par chacun de ses membres.

De la santé à la bioéthique

Dès 1976, les premières recommandations adoptées par l’Assemblée parlementaire ou le Comité des ministres du Conseil de l’Europe (constitué par les ministres des Affaires étrangères des États membres) en matière de santé et de médecine ont pris en compte les aspects éthiques des sciences médicales. La Division de la santé, chargée de préparer ces textes et de développer la coopération dans le domaine de la santé publique, s’est ainsi intéressée très tôt à l’adéquation entre la science et le respect de l’individu. De 1976 à 1983, plusieurs recommandations relatives à l’assistance aux mourants, aux droits des malades et à la situation des malades mentaux hospitalisés se sont fait l’écho de ces préoccupations. Dès 1983, le Conseil de l’Europe s’inquiétait des dérives qui pourraient résulter d’une politique contraignante en matière de dépistage du sida et rejetait tout dépistage obligatoire du virus H.I.V. au profit d’actions fondées sur le dialogue et la transparence. Par ailleurs, il convient de rappeler que, dès 1983, le Conseil de l’Europe a souligné l’urgence du chauffage systématique des produits sanguins, mesure qui, si elle avait été appliquée suffisamment tôt dans les États membres, et notamment en France, aurait pu éviter les désastres liés à la contamination du sang par le virus H.I.V.

Entre 1982 et 1990, la réaffirmation des droits de l’individu face aux tests de dépistage génétiques ainsi que la protection des données issues de ces tests ont fait l’objet de plusieurs recommandations. À partir de 1986, le Conseil de l’Europe s’est penché sur les aspects éthiques de la procréation médicalement assistée et de l’utilisation des fœtus et embryons dans la recherche médicale. Les règles définies à l’époque, et qui ont inspiré de nombreuses législations nationales, comportent l’interdiction de toute “conception” d’embryon à des fins scientifiques, commerciales ou industrielles, rejettent toute forme de commercialisation des embryons et n’autorisent la recherche diagnostique et thérapeutique sur les embryons vivants que si celle-ci est absolument indispensable aux embryons eux-mêmes, tout en instituant de nombreuses mesures de contrôle et de protection de ces derniers. Elles autorisent en revanche la recherche sur des embryons non viables.

En 1985, un nouveau pas était franchi, avec la mise en place, sous l’égide de la Direction des affaires juridiques, du Comité ad hoc sur la bioéthique, rebaptisé Comité directeur pour la bioéthique du Conseil de l’Europe (C.D.B.I.) en 1992. Composé d’experts issus des États membres, ce comité — constitué de médecins, de chercheurs, de juristes, de philosophes, et d’un membre de l’Assemblée parlementaire — a été appelé non seulement à renforcer l’activité de l’organisation dans le domaine de la bioéthique, mais aussi à préparer le projet de Convention européenne voulu par l’Assemblée parlementaire et fortement soutenu par le Comité des ministres et les secrétaires généraux successifs du Conseil de l’Europe, Marcelino Oreja, Catherine Lalumière et Daniel Tarschys.

La Convention européenne de bioéthique

Composée de trente-huit articles, cette Convention, destinée à “protéger l’être humain dans son identité et sa dignité”, a été conçue pour “garantir à toute personne le respect de son intégrité et de ses droits et libertés fondamentales à l’égard des applications de la biologie et de la médecine” (art. premier). Se rattachent à ce texte plusieurs protocoles additionnels relatifs à la transplantation d’organes, à la recherche, aux embryons et à la génétique.

Soulignant que “l’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société et de la science” (art. 2), la Convention précise que toute intervention ou recherche médicale ne peut s’effectuer que dans un cadre professionnel et législatif clairement défini, tout individu devant par ailleurs bénéficier d’un accès équitable aux soins de santé réclamés par son état (art. 3 et 4).

Les articles 5 à 9 de la Convention abordent le problème du consentement libre et éclairé du patient ou du sujet d’une expérience. Ce consentement, indispensable à l’intervention, pourra être retiré à tout moment par la personne concernée. Si la personne n’est pas en mesure de fournir son consentement, en tant qu’“incapable juridique” permanent ou temporaire, les interventions qui pourront être pratiquées sur elle devront concourir uniquement à son bénéfice direct et s’effectuer dans le cadre de la loi. Toutefois, des interventions pourront être pratiquées sur un incapable juridique sans bénéfice direct pour sa santé s’il s’agit d’une recherche sans danger pour lui, et qui ne peut s’effectuer sur des personnes n’appartenant pas à la même catégorie que lui, par exemple des nouveau-nés ou des personnes plongées dans le coma. Dans ce cas, l’autorisation du représentant légal de l’incapable est indispensable. De même, des tissus régénérables (moelle osseuse, par exemple) pourront être prélevés sur un incapable juridique si le bénéficiaire est un frère ou une sœur et si aucun autre donneur compatible n’est disponible. Toutefois, si l’incapable juridique est doué d’un discernement partiel, son avis devra primer sur celui des proches ou de ses représentants légaux, notamment dans le cas de mineurs qui doivent, en fonction de l’évolution de leurs capacités de discernement, être associés aux décisions. En revanche, le consentement d’une personne n’est pas requis dans les situations d’urgence, dès lors que l’intervention est indispensable à la protection de sa santé.

À partir de l’article 10, la Convention reprend ou développe les grands principes de la bioéthique déjà abordés par le Conseil de l’Europe, en leur donnant dès lors un aspect contraignant que ne pouvaient garantir les recommandations précédentes. C’est ainsi que la Convention précise que “le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit”. La mention “en tant que tels” vise à exclure de cet article les procédés biotechnologiques brevetables nécessaires à la production de vaccins ou de médicaments et utilisant des substances d’origine humaine. Mais seul le procédé, et non pas la substance, pourra être breveté. L’article 10 rappelle le droit de chaque individu au respect de sa vie privée dans le domaine de la santé, et le droit de connaître toute information sur celle-ci, de même que, a contrario, le droit de ne pas être informé sur sa santé. L’article 14 proscrit l’utilisation de techniques d’assistance à la procréation destinées à choisir le sexe de l’enfant, sauf en vue d’éviter des maladies génétiques graves.

La recherche sur les embryons in vitro, lorsqu’elle est admise par la loi nationale, doit assurer leur protection adéquate, dont la portée exacte sera précisée par un futur protocole relatif à l’embryon. Toute constitution d’embryon à des fins de recherche est interdite. Dans le domaine de la génétique, une intervention sur le génome ne pourra être pratiquée qu’à des fins préventives, thérapeutiques ou diagnostiques, et ne pourra concerner que les cellules somatiques. Le C.D.B.I. rejette en effet toute intervention sur les cellules germinales affectant la descendance, en estimant que les conséquences d’une telle intervention restent encore largement inconnues, et réclament donc une prudence absolue. Les tests prédictifs de maladies génétiques, dont le développement actuel fait peser de graves menaces sur le libre-arbitre et la liberté individuelle, ne pourront être effectués, selon la Convention, que pour des raisons de santé ou de recherche scientifique liée à des raisons de santé.

Les articles 23 à 25 prévoient les sanctions et recours en cas de manquement à la Convention. L’article 29 donne à la Cour européenne des droits de l’homme une compétence pour interpréter les dispositions de la Convention et l’article 30 prévoit qu’un État devra fournir, sur demande du secrétaire général du Conseil de l’Europe, des explications sur la manière dont il applique la Convention. Par ailleurs, le C.D.B.I. (art. 32) se voit confier la tâche de réexaminer périodiquement la Convention afin de tenir compte des évolutions scientifiques.

Les protocoles additionnels à la Convention de bioéthique

La Convention de bioéthique est accompagnée de protocoles additionnels, dont le premier, relatif à la transplantation d’organes, est d’ores et déjà achevé mais ne pourra être adopté qu’après l’adoption de la convention elle-même. Un deuxième protocole sur la recherche est en cours d’élaboration, tandis qu’un protocole sur l’embryon est actuellement à l’état de projet. Ultérieurement, un protocole sur la génétique est envisagé par le C.D.B.I..

Le protocole sur la transplantation vise dans un premier temps à garantir que tout prélèvement d’organes sur un donneur décédé s’effectue dans la transparence et avec le consentement du donneur, tel qu’il est prévu par les lois nationales. Le prélèvement d’organes sur des personnes vivantes ne doit être effectué que d’une manière exceptionnelle, en faveur d’un proche du receveur ou sous le contrôle d’une autorité appropriée, et dans tous les cas avec le consentement exprès du donneur. Les prélèvements effectués sur des incapables juridiques requièrent le consentement du donneur ou, si celui-ci est impossible, de son représentant légal. Seuls des prélèvements de moelle osseuse ou de tissus régénérables pourront être effectués, à condition qu’aucune moelle ou aucun tissu ne soit disponible auprès d’un donneur juridiquement capable. Le donneur vivant doit être informé des risques liés au prélèvement, ces derniers ne devant en aucun cas être disproportionnés par rapport au bénéfice attendu pour le receveur.

La répartition des organes doit s’effectuer en fonction de critères strictement médicaux, et aucun organe ne peut être source de profit. Les équipes constatant le décès d’un donneur potentiel doivent être soigneusement séparées de celles qui sont chargées du prélèvement et de la greffe, et tout médecin transplanteur doit être en mesure de justifier à tout moment sa décision d’attribution d’un organe et de s’expliquer sur sa provenance. Enfin, les transplantations ne peuvent s’effectuer que dans des centres agréés soumis au contrôle des autorités publiques.

En favorisant la transparence, ce protocole devrait permettre d’augmenter le nombre de dons volontaires et de résorber la pénurie, tout en optimisant les ressources disponibles. Mais la mise en place d’une législation “éthique” vise aussi à restaurer la confiance de la population et à dissiper ses craintes face aux nombreuses rumeurs qui entachent encore le milieu de la transplantation et entravent le développement d’une technique pourtant parfaitement fiable et capable de sauver un nombre croissant de malades.

Vers une “bioéthique européenne”: résistances et perspectives

L’élaboration parfois difficile de la Convention européenne de bioéthique a révélé que, si l’ensemble des États membres est favorable à la mise en place de règles claires dans ce domaine, les différences de culture et de sensibilité entravent parfois la recherche d’un consensus sur certains sujets. C’est pourquoi la Convention, comme le C.D.B.I., ne prend pas parti sur des questions comme l’avortement ou l’euthanasie, qui relèvent manifestement de sensibilités nationales et religieuses incompatibles — Malte ou l’Irlande, fortement catholiques, ne pouvant s’accorder sur ce thème avec un pays de tradition protestante comme les Pays-Bas. Mais la réflexion bioéthique obéit aussi à des réflexes liés à des traditions politiques et culturelles diverses. C’est ainsi que la formule du Comité national d’éthique, telle qu’on la connaît en France mais aussi en Italie, et depuis peu en Belgique, au Portugal, s’oppose au mode de fonctionnement décentralisé de pays comme l’Allemagne. Plutôt que de confier à des experts le soin de réfléchir aux problèmes de bioéthique, le Danemark préfère associer des profanes à cette réflexion et dispose donc d’un comité d’éthique largement ouvert sur le grand public. La Grande-Bretagne, hostile elle aussi à l’idée de comité national, applique dans ce domaine le principe du comité ad hoc, créé pour faire face à un problème et dissous à l’issue de sa réflexion. C’est pourquoi l’idée d’un Comité d’éthique européen, qu’avait envisagé le Conseil de l’Europe, a été rejetée par plusieurs États, cette instance étant inconnue voire jugée inutile dans leur pays.

Au-delà de la forme, quelques pays ont manifesté une sensibilité particulière face à certains articles de la Convention, même si celle-ci prévoit dans son article 27 que tout État conserve le droit d’introduire des règles plus protectrices que celles qui sont prévues par la Convention. C’est ainsi que l’Allemagne, en raison notamment du poids des expériences héritées de la période nazie, avait estimé que les dispositions relatives à la recherche n’étaient pas assez protectrices pour les personnes juridiquement incapables, et réclamé une refonte de cet article, qui a été effectuée en juin 1996. Elle dénonçait aussi, en matière de recherches sur l’embryon, des dispositions jugées trop laxistes ou insuffisantes à ses yeux.

À partir de 1990, les nouvelles démocraties issues des anciens pays de l’Est ont rejoint le Conseil de l’Europe, qui est passé de vingt-trois États membres en 1989 à trente-neuf actuellement, dont la Russie depuis février 1996. Ce changement d’échelle n’est pas sans conséquence pour la réflexion bioéthique de l’organisation: au-delà de l’apparition de sensibilités nouvelles au sein des Trente-trois, beaucoup d’anciens pays communistes ont souhaité que le Conseil de l’Europe les aide à se doter de législations “éthiques” dans le domaine médical, notamment en matière de droits du patient et de l’individu face aux institutions médicales et scientifiques, mais aussi dans le domaine de la transplantation d’organes et de la transfusion sanguine, afin non seulement d’améliorer l’efficacité de ces systèmes, mais aussi d’en garantir le caractère éthique. Parallèlement, les pays d’Europe centrale et orientale ont rappelé aux pays occidentaux que l’éthique médicale ne saurait seulement répondre aux préoccupations des pays riches, mais devait prendre aussi en compte les problèmes posés par les difficultés d’accès aux soins ou la pénurie de matériel moderne et le manque de ressources qui caractérisent souvent les États de l’ancien bloc de l’Est. Cette “éthique des pays pauvres” ne peut être négligée dans la réflexion globale sur la bioéthique en Europe, dès lors que cette dernière entend trouver sa légitimité dans l’ensemble du continent — même si les principes éthiques issus de la réflexion sont applicables à tous les pays.

La bioéthique est-elle un droit de l’homme?

Inspirée par les droits de l’homme, la Convention de bioéthique permettra à tout individu victime d’une violation de ses principes de se retourner contre le responsable de celle-ci en saisissant un tribunal. La victime pourra obtenir réparation pour le préjudice subi, le responsable de la violation pouvant pour sa part être sanctionné dans le cadre des lois de l’État ayant signé la Convention. Si un État viole lui-même la Convention, il pourra être appelé à s’expliquer devant le Conseil de l’Europe, ce dernier n’étant toutefois pas en mesure de “sanctionner” l’État n’ayant pas respecté la Convention.

Faut-il dès lors aller plus loin, et faire de la Convention un texte juridiquement opposable aux États, impliquant ainsi que, au-delà des réparations auxquelles peut prétendre un individu, l’État bafouant un principe de la Convention puisse être condamné pour cela? Dans cette hypothèse, la Convention pourrait être placée sous le contrôle des juges de la Cour européenne des droits de l’homme, soit sous forme d’une clause en ce sens insérée dans la Convention de bioéthique, soit sous forme d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. Cela renforcerait ainsi le caractère contraignant et l’autorité de la Convention de bioéthique. Toutefois, les parlementaires comme les juristes restent encore divisés sur les modalités d’une telle intégration de la Convention à la législation sur les droits de l’homme. Dans tous les cas, ce débat confirme l’importance croissante donnée aux droits de l’homme par le Conseil de l’Europe dans l’élaboration de la réflexion bioéthique, qui fait partie d’un projet de société allant bien au-delà des seules sphères juridiques ou médicales.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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